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La petite danseuse

 
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isabelle



Inscrit le: 01 Oct 2006
Messages: 676
Localisation: Rennes

MessagePosté le: 06-12-2006 21:42    Sujet du message: La petite danseuse Répondre en citant

La petite danseuse


Ça fait cinq ans qu’on habite ici, j’y suis née. C’est chez moi ici. Le village n’est pas très grand, je sais où il commence et où il finit. On habite dans l’école, dans le petit logement près des camélias bleus et roses. Il y a un petit escalier pour y accéder. Juste à côté des camélias se trouve mon jeu favori : la vieille pompe à eau ! J’aime bien faire cracher l’eau par son bec un peu rouillé, ça couine ! Je passe beaucoup de temps avec elle, c’est ma meilleure copine. Derrière l’école, on a un jardin, avec des vieux arbres et il sent bon, il est très fleuri et puis mon père vient y manger des oignons sur du pain beurré. Il s’assoit dans l’herbe et il coupe l’oignon et ça a l’air trop bon ! Ca pique les yeux pourtant mais mon père a des yeux pour manger les oignons, ça doit être normal quand on aime autant ça. Ma mère, elle râle après lui. Elle crie « Robert ! Tu es encore allé manger de l’oignon, tu sens l’oignon à plein nez ! ». Mais mon père s’en fiche, il continuera de piquer des oignons tant que ça poussera ! Moi, je préfère piquer des groseilles, c’est meilleur, ça pique pas les yeux et ça a le goût du jardin pas comme les autres.

On entend les cloches de l’église, tout près, elles sonnent fort et tranquillement comme si c’était le vent qui les poussait par fantaisie. J’aime bien entendre leurs chants, ça veut dire que tout le monde vit encore puisqu’on les appelle à la messe. Nous, on ne va jamais à la messe. On n’est pas des gens de messe chez nous, uniquement quand c’est obligatoire pour les mariages, les enterrements puis les baptêmes. Ca suffit bien comme ça ! En plus, il y fait froid et le soleil n’entre pas. Vaut mieux prier dans les champs comme dit mon père ! Il a bien raison. De toutes façons le curé me fait peur, il a une tête sévère et ne sourit jamais. Le bon Dieu doit sûrement exiger qu’il soit toujours au garde à vous. Il n’empêche que je l’ai vu souvent au bistrot du coin, affalé sur le comptoir et à mon avis, ça ne doit pas plaire à son Dieu.

De l’autre côté de la cour de l’école, habitent la directrice et son mari, « Dédé la Sacoche ». Il est facteur. Ils ont une fille unique, elle s’appelle Angéline. Elle a douze ans. C’est elle qui m’a appris à marcher. Je ne m’en souviens pas bien sûr. Il paraît que je pratiquais le « quatre pattes » avant cela, j’avais dû constater que si je devais tomber ça serait de moins haut.

Leur logement est situé tout en haut d’un escalier de bois dont les marches usées craquent ; la rampe de fer forgé semble tenir par la grâce de Dieu. Aussi on me dit de ne pas m’y appuyer de trop mais dès que je vois qu’on ne me regarde pas, je la teste pour voir jusqu’où elle tiendra. Elle a toujours tenu jusqu’à aujourd’hui alors pourquoi pas jusqu’à demain ? Au rez-de-chaussée, il y a la classe des « grands », elle est trop belle leur classe, c’est la plus jolie et la plus grande et puis ils font plein de choses que nous on ne fait pas encore et je me demande bien quel est leur secret car ils arrivent tous à lire les mots sur les murs et le tableau. Je fouille dans les casiers sous leurs tables, parfois, et j’ouvre les cahiers, les livres, mais je ne trouve pas de secret. Je trouve seulement qu’il y a des élèves qui rangent bien leurs affaires et d’autres qui les mettent n’importe comment. Par terre c’est du parquet. Il sent trop bon. On aurait envie de mettre son nez dessus. Des fois, je m’assois au bureau de la directrice, c’est sa classe. Je m’amuse toute seule, j’essaie d’apprendre à lire à des élèves imaginaires et comme je ne sais pas lire moi-même, j’ai un mal de chien ! J’oublie d’effacer le tableau aussi la directrice retrouve mes gribouillis le lundi matin et elle ne met pas longtemps pour deviner qui est passé par-là en son absence… il n’y a que moi dans l’école pendant le week-end… Mais est-ce que c’est de ma faute si la classe reste ouverte ? C’est obligé que j’aie envie d’y entrer ! Je suis très fouineuse. Il y a un gros meuble aussi, dans le hall et il est rempli de trucs surprenants et je n’ai jamais fini de fouiller, je trouve toujours quelque chose de nouveau. C’est le meuble de Dédé la Sacoche, il range tout son attirail là-dedans, c’est un pêcheur, un chasseur et en plus, il laisse sa sacoche à courrier aussi. Elle est souvent vide mais ça arrive qu’il y reste quelques lettres. Si je savais lire, je crois bien que ça me démangerait de les lire !

Dans la cour, c’est un petit paradis terrestre. Plusieurs gros platanes sont plantés là et nous protègent, ils sont très hauts et ont des grandes feuilles, je les adore. Et puis ils sont curieux à vouloir soulever le sol avec leurs racines. Ça fait des fissures partout, la cour a des rides, on dirait qu’elle est vieille. Je le sais parce qu’il y a les mêmes sur la figure de mon grand-père et je me demande s’il n’a pas des racines, lui aussi, qui veulent sortir de lui ?

Le préau est tout vieux aussi, les poutres sont mangées par les vers, c’est mon père qui l’a dit et il se pourrait bien qu’il nous tombe sur la tête ainsi je ne reste pas trop en dessous et puis je suis bien mieux dehors, on fait des dessins à la craie sur le sol et on joue à la marelle en shootant dans des boîtes de cirage avec un petit nœud papillon en fer, sur le côté. On s’amuse aussi beaucoup avec les cabinets qui sont près de la cour. Il y en a quatre. Les portes laissent voir les pieds, on sait toujours qui s’y trouve ! Quand il fait très froid, on y passe le plus vite qu’on peut pour ne pas attraper froid aux fesses.

Moi, je suis dans la classe de ma mère. Elle porte toujours une blouse bleue. Elle a plein de trucs dans ses poches. Elle n’oublie jamais rien et ne jette rien non plus. Tout peut servir ! Même les ficelles des paquets cadeaux. Ses tiroirs de bureau, c’est la caverne d’Ali baba. C’est surtout un endroit qui excite ma curiosité ! Mais je n’ai pas le droit d’y fourrer mon nez, c’est interdit. Elle me connaît bien ma mère, elle sait les risques qu’elle encourre à me laisser fouiner dans ses affaires. Mais je m’en fiche, Dédé la Sacoche, lui, ne me dit rien et je peux nourrir mes instincts les plus curieux au fin fond de son meuble à surprises. Ma classe est très belle aussi mais il n’y a pas d’estrade pour porter le bureau de ma mère et j’aurais préféré. Elle est à la même hauteur que nous et je ne la vois pas bien comme il faut. Mais elle, elle me voit bien et j’ai plutôt intérêt à me tenir à carreau ! Je suis dissipée et j’ai toujours envie de faire autre chose que ce qui est prévu. Ma grande passion c’est la pâte à modeler ! Elle a une odeur fabuleuse, j’en ai même mangé une fois. Mais le meilleur c’est quand même les récréations car mon père vient me chercher en douce pour aller boire un café vite fait et manger une grosse tartine de pain. Petit privilège que j’ai et je le sais bien !

Quand il n’y a pas école, je vais chez Dédé et Angéline. On fait du bon café là bas aussi et puis j’adore leur appartement. Il est tout petit mais très chaud et Angéline a des boîtes à musique qui me fascinent. Quand on les ouvre, on voit une petite danseuse qui se met à tournoyer sur un air magique, dans un décor rouge de théâtre. Avec elle, je ne joue pas comme avec les autres. Elle est plus âgée que moi. Elle joue à la poupée avec moi et c’est moi la poupée ! Mais ça me plaît beaucoup. Elle m’emmène au village pour acheter le pain, faire trois courses. Je suis un peu sa petite sœur. Elle vient avec moi, parfois, dans la grande classe et elle m’explique des choses fabuleuses et je commence à comprendre quelques secrets et à réaliser que ce que font les enfants ici n’est pas forcément aussi extraordinaire que ça et que j’en ferai bientôt autant. Du moins, j’essaie de m’en persuader !

Sur les murs de l’école, ça grouille d’escargots quand il pleut et comme il pleut souvent il y en a souvent. On les ramasse, surtout les plus gros et puis on les aligne dans la cour sur un trait à la craie. C’est la ligne de départ d’une course folle d’escargots… mais les miens vont toujours moins vite ! Je suppose que je choisis ceux qui ont les plus petites pattes. Mais ce qui est très drôle, c'est de les laisser ramper sur les vitres de la classe et de les voir baver et laisser un filet blanchâtre derrière eux ! Ma mère trouve ça moins drôle que moi aussi je me trouve souvent à nettoyer les carreaux pour effacer les empreintes gluantes de mes bestioles baveuses.

Le dimanche, quand il fait beau, on part en pique-nique avec la directrice et « dédé la sacoche », on va en forêt, on boit du cidre, on mange des sandwichs, c’est un peu la fête. Mon père s’entend bien avec Dédé, il faut dire qu’ils sont blagueurs tous les deux et proches de la nature et Dédé n’est pas le dernier non plus à aimer faire des blagues ! On va toujours près d’un plan d’eau, on étale la nappe dans l’herbe et tout se casse toujours la figure alors je regarde mon père qui plante les verres dans l’herbe comme s’il voulait que ça prenne racine.

La place du village est absolument magnifique. Toute ronde, toute entourée de platanes vieux comme le monde. Les gens y discutent de tout et de rien. Ma nourrice habite juste à côté et j’adore aller chez elle, elle a un jardin fabuleux avec des grosses groseilles poilues comme il n’y en a nulle part ailleurs. Je le sais, j’en ai mangé dans tous les jardins. Elle a l’air d’un ange, elle est ronde avec des bonnes joues roses et un sourire divin et plein d’amour. Elle s’occupe de moi comme si j’étais à elle. Elle n’a pas pu avoir d’enfant. Elle fait du bon café elle aussi, elle sait bien que je n’aime pas le lait. Ce n’est pas comme ma grand-mère ! Elle est mariée avec un homme triste et sans éclat. J’ai même l’impression qu’il n’existe pas mais elle est lumineuse pour deux même pour trois. Je l’adore. Elle vient me chercher souvent pour aller en balade ou faire des courses sur le marché.

Je suis assise à la table de la cuisine, je mange mon petit déjeuner et mes parents sont là mais semblent plus là que d’habitude. Ma mère me dit que je vais changer d’école et que la nouvelle école sera beaucoup plus belle que celle-ci, elle me dit que je vais me faire plein de nouveaux amis et qu’on va m’acheter un magnifique vélo… changer d’école ? Pourquoi me changerait-on d’école ? Elle est où cette école d’abord ? Et les nouveaux amis, je n’en ai rien à faire, j’ai Angéline ici moi et qui pourra la remplacer ? Et les escargots ? Ils ne seront jamais aussi beaux qu’ici. Je suis paniquée.

Les voisins, quand ils me voient, me disent « alors Isa ? Tu vas aller à la grande école ? Tu en as de la chance ! » Ce n’est pas une chance pour moi, c’est la catastrophe. On m’enlève de chez moi. Je comprends pourquoi les platanes font des racines sous la cour de l’école, c’est parce qu’ils ne veulent pas qu’on les enlève de là un jour. Je n’ai pas de racines moi, je suis perdue.

C’est le jour du déménagement. Tout est rangé dans des cartons. Même mes affaires. Je suis assise sur la marche de l’escalier près des camélias. Je comprends que c’est fini, que je dois partir, que ce n’est plus ma maison, plus mon chez-moi, plus mon école. On me jette dehors. Et ma pompe à eau ? Qui va jouer avec elle ? Elle va pleurer en goutte à goutte sans moi. Je le sais bien. On m’a dit qu’il n’y aurait pas de jardin dans la nouvelle école. Mon père ne mangera pas les oignons tout frais poussés. Et mes groseilles ? Qui va les manger ? Et ma tartine à quatre heures avec papa, est-ce que je l’aurai encore ?

Angéline m’a donné une boîte à musique avec une danseuse qui danse dedans. Dans le nouveau logement, je l’ai posée sur ma table de nuit. Mais elle ne danse pas de la même façon et l’air que j’entends a perdu sa magie. La danseuse est comme moi, elle n’est plus dans son monde, elle continue de tourbillonner mais son décor a changé et son regard s’est perdu au fond de sa boîte. Elle est comme moi, elle a dû partir malgré elle, tout quitter. Je sais bien qu’elle aurait préféré rester chez elle.

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Jan Goure



Inscrit le: 18 Juil 2006
Messages: 1865

MessagePosté le: 07-12-2006 15:13    Sujet du message: Répondre en citant

Isabelle,

La "bille bleue" , la lumière bleue plutôt
Une relecture qui prouve que la prosatrice
vaut la poétesse, pour notre plus grand
plaisir...

Bisous

jan Wink
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musika



Inscrit le: 23 Mar 2005
Messages: 18472

MessagePosté le: 07-12-2006 15:34    Sujet du message: Répondre en citant

voilà une bien belle vie, vue par une petite fille..........
on y retrouve, l institutrice,
le facteur, les oignons, le beurre, les platanes, et l école du village......
tout cela existe encore......... Wink isabelle.......

tout cela existe encore.............bien beau récit.
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Annick



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Messages: 14156
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MessagePosté le: 07-12-2006 21:26    Sujet du message: Répondre en citant

Que rajouter, Isabelle !

J'aime comme tu racontes tes souvenirs de petite fille, je me régale !

Gros bisous.
Very Happy
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Celan



Inscrit le: 16 Sep 2006
Messages: 1075
Localisation: val d'oise

MessagePosté le: 07-12-2006 22:00    Sujet du message: Répondre en citant

Bravo isabelle
il y a des passages ou je revoyais l'école , les arbres , le facteur .

la vie dans mon village de L'Yonne ..j'habitais l'école ..
j'aimais aussi la pâte à modeler ....ect

C'est un plaisir de lire ce récit .c'est un plaisir de te lire ....c'est vivant , c'est prenant le tout peut fair un scénari ..Le début d'un superbe film et avec ta plume tout se trouve magnifiée
un parfum s'en dégage, il nous enveloppe avec confiance dans le monde de ton enfance, un monde rempli de vérités

Magnifique

mille bisous
celan

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Dernière édition par Celan le 08-12-2006 05:16; édité 1 fois
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musika



Inscrit le: 23 Mar 2005
Messages: 18472

MessagePosté le: 07-12-2006 22:15    Sujet du message: Répondre en citant

le parfum de l enfance...........un souvenir si prêt, et si loin..........
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isabelle



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Messages: 676
Localisation: Rennes

MessagePosté le: 07-12-2006 22:29    Sujet du message: Répondre en citant

Merci à tous mes amis poètes, vos mots me touchent et je suis ravie que mon texte vous ait plu parce que c'est autobiographique et je l'ai écrit en me mettant dans la peau de la petite fille que j'étais à l'époque. comme di musika, l'enfance si proche et si loin ... mais je crois que me concernant, elle est tellement proche que la petite fille prend plus de place que la femme. Mais c'est très bien comme ça !
je vous embrasse tous très fort, bonne nuit
isa

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